INFINIMENT BLEU
Textes de l’exposition
présentée au Musée de la civilisation à Québec
du 7 mai 2003 au 6 septembre 2004
Réconforte-moi
dis-moi ta patience infinie
sur le fond de mes jours
dis-moi les eaux du commencement
ta lumière dans le battement d’aile du papillon
la part d’ombre de mes solitudes
l’esprit que tu dissimules
dans la pierre
et toutes tes nuances cachées dans la feuille
dis-moi l’histoire des hommes
peinte sur le vase que je porte à ma lèvre
la mémoire des femmes teinte sur l’étoffe
que je colle à ma peau
ta matière ta manière
et le silence et le cri jetés sur la toile
dis-moi encore la chanson que tu chantes
sur la rive du grand fleuve
dis-moi l’heure tranquille où tu te retires
dis-moi notre face commune
apaise-moi
bleu
Avant le jour
au bord de la vie
dans le bleu naissant
et sans cesse renaissant
j’ai entendu des sons
et j’ai reconnu
mon nom
à bout de souffle
ai sorti la tête
ai vu la première lumière
la fille du feu
et mon coeur
s’est mis à battre
de l’abysse jusqu’au zénith
tous les rayons de l’astre
se jettent à mon oeil
Et il ne garde que le bleu
du premier dialogue
Dans la feuille
je t’ai trouvé dans la feuille de la guède
de Flandre jusqu’en Toscane
et dans la feuille de l’indigo
aux Indes et en Amérique
depuis l’Antiquité
et pour mille années encore
j'ai revêtu ton pastel sans éclat
robe des humbles des sans nom
en l'an mil
tu as déposé ta lumière
sur le voile de la Vierge
et ton azur sur le manteau des rois
livrée des purs des justes
guenille des lépreux
veste du paysan robe des belles
costume des grands
toile de Gênes devenue jeans
échappé des codes et des interdits
je te porte aujourd'hui
Dans la pierre
j’ai gravi la montagne afghane
du côté de Sar E Sang
j’ai cherché dans la vallée de l'Indus
creusé les terres de Mésopotamie
d'Iran et d'Égypte
tu étais là
je t’ai broyé lapis-lazuli turquoise et azurite
extrait des grisailles du cobalt
mêlé à l’eau à l’huile à la cire
et je t’ai donné
en Égypte à la faïence
en Perse à la céramique
à la porcelaine de Chine
à la pacotille du souk
j'ai trouvé ton secret et ta formule
pris ta mesure fait ta synthèse
te peins sur la bille comme sur la terre
et te porte saphir sur ma poitrine
Sur la toile
les mains tachées dans la nuit étoilée
la saison est mélancolique
il y a de l’azur et de l’eau de mer
dans son oeil
un bleu en éveille cent
et mille se fondent en un
il voit lavande myosotis pervenche
des amoureux entremêlés
l’harmonie de la montagne
un cavalier traverse l’esprit des lieux
une minute sereine envahit la toile
pour toujours
et la liberté se pose
sur la ligne d'horizon
ce sont Vincent Pablo et les autres
qui étreint l’outremer
qui chasse le pétrole
Sur la rive
entends l'écho de la détresse
dans le bayou
chanson d'esclave apprise à la chaîne
plainte des rejetés
chagrin de l’amour perdu
dans le temps jamais revenu
musique des racines
sur les rives du Mississippi
sombre rivière
dans les ports et dans les bars
O Lord !
entends la chanson oubliée
entends le chant de ton peuple
à l’église et à la fête
et la prière et la voix de big Mama
dans le dernier accord de guitare
entends mêlé au silence
le criquet qui bat le rythme
Blues
aoi
asui
azul
azzuro
biru
bla
blau
blauw
bleu
blue
buluu
ian
purun
xahn
.
.
.
Dans l’aura du monde
je t’ai suivi
jusqu’au dernier repli de lumière
avant la nuit
ici maintenant devant toi
j’appelle Moïse Jésus et Mahomet
Bouddha et Vishnu
j’appelle Iahvé Dieu Allah Osiris et Soleil
j'appelle l'Éternel
dans l'infini où brillent les disparus
je cherche un signe de mon amour envolée
voyageur céleste en partance
mes pas perdus résonnent
dans l’aura du monde
un rayon de 470 nanomètres
pénètre mon esprit
et j'entre
compagnon de la grande traversée
enveloppe-moi dans ta nuit
et protège-moi
infiniment
-c- Bernard Daoust
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